Et ce blog aussi après un long silence. Car de confinements en événements divers il ne m’a pas été possible, éloigné de ma discothèque, de l'enrichir avec la régularité que réclame cette entreprise.

Merci à Frémeaux et Associés pour cette réédition de AL LIRVAT and his Cigal’s Band. C’est une heureuse découverte pour moi, comme je pense pour beaucoup de gens. Peut-être quelques aînés ont-ils eu la chance de passer le seuil de la Cigale dans les années 50 et d’entendre cette musique, ce ne fut hélas pas mon cas. Ce CD a été édité il y a une douzaine d'année, mais il doit être encore trouvable.
AL Lirvat, tromboniste d’origine guadeloupéenne, est à la tête d’un orchestre de musiciens aux origines très variées : Childebert Mourinet à l’alto, Pierre Jean-Louis au piano (indiqué comme Pierre-Jean Louis dans la discographie Tom Lord) sont aussi guadeloupéens, le malgache René James est à la contrebasse et le batteur Harold Smith est de Trinidad. J’allais oublier le chanteur Georgie Smith frère aîné du précédent. Que des insulaires, tiens. Tout ce beau monde ne vous dit rien ? A moi non plus.
Mais il faut rajouter une figure bien connue du jazz en France dans ces années -là : le saxophoniste, clarinettiste, arrangeur Benny Waters alors âgé de 53 ans, en pleine possession de ses moyens. On se demande avec quelle personnalité légendaire du jazz Benny Waters n’a pas joué : Charlie Johnson, King Oliver, Fletcher Henderson, Hot Lips Page, Bill Coleman et tant d’autres.
Les 12 titres de cet album présentent une remarquable homogénéité. Nous avons affaire à une formation qui joue tous les soirs et ça s’entend. L’orchestre tourne parfaitement rond et on sent tous les musiciens complètement relax ! Il faut dire que Al Lirvat et quelques-uns de ses compères sont surtout connus comme spécialistes de la musique antillaise. Une musique qui, comme le jazz dont je parle ici, est faite pour la danse. D’ailleurs la notoriété d’Al Lirvat s’établira dans le cadre des béguines surtout à partir des années 60 jusqu’à son décès en 2007 [1].
J’espère que comme moi vous serez séduits par le dynamisme, le punch (normal pour des antillais …) de ces musiciens. Rien ne laisse indifférent, chaque soliste tire son épingle du jeu, le swing règne en maître, René James à la basse et Harold Smith à la batterie se révèlent tous les deux excellents.
Ecoutons-les dans Give Me Over The Cheat
On peut aussi l’entendre au saxophone soprano, dans Summertime, où plane l’ombre de Sidney Bechet et à la clarinette dans un style très fluide dans No Work Today et on regrette qu’il ne joue pas plus de ce noble instrument.
Al Lirvat fait preuve d’une grande musicalité dans un magnifique Don’t Blame Me plein de sensibilité.
On l’entend relativement peu comme soliste par ailleurs, mais ses interventions sont dans un style swinguant à la Trummy Young.
Childebert Mourinet au saxophone alto est doté d’une belle sonorité avec un léger growl et joue avec beaucoup de swing, de lyrisme et une grande inventivité mélodique.
Pierre Jean-Louis est un pianiste subtil aux harmonies audacieuses où l’influence de Thelonious Monk peut être parfois perçue ce qui ne l’empêche pas de swinguer fermement grâce à une attaque très jazz et un grand sens de la mélodie.
Le reste de la section rythmique avec René James et Harold Smith est irréprochable soutenant parfaitement cette formation pleine de swing .
Ajoutons que l’orchestre joue d’excellents arrangements sans doute de Benny Waters, ce qui ne gâte rien.
On ne peut que s’étonner que des musiciens de cette classe soient passés à côté des radars. Certes Benny Waters n’est pas un inconnu, mais dans les revues de jazz de cette époque on ne trouve rien ou quasiment sur cet orchestre.
Précisons que ce disque est un acte manqué comme disent les psychologues. En effet il fut enregistré (excellemment) pour une nouvelle marque : Urania. Or ce label fit faillite pour une sombre histoire de droits tout de suite après la parution de ces enregistrements. Ceux-ci (en réalité quatre 33t de 17cm, et non 25cm comme je l'avais écrit par erreur, merci à André pour son commentaire) ne furent pas distribués et furent vendus par les musiciens à La Cigale à ceux que ça intéressait. Il ne furent donc pas envoyés aux différentes revues, ne bénéficièrent d’aucune publicité et devinrent fort rares.
C’est certainement le meilleur disque de Benny Waters et on peut imaginer que sa notoriété et celle des autres musiciens auraient été différentes si ces enregistrements avaient été mieux diffusés.
Une musique swinguante totalement déconfinée, qui sans prétention jaillit naturellement de ces musiciens qui jouent et partagent le jazz qu’ils aiment.
C’est moins simple qu’il n’y paraît et ça s’entend.
Le disque est accompagné d’excellentes notes de Jean-Pierre Meunier très documentées.
Le CD comporte 12 titres initialement répartis sur 4 disques Urania :
Summertime, Give over the cheat, Route 66, Don't blame me, No work today, It's wonderful to be in love, I'm in the mood for love, Two baboons, Blues in the groove, Yes the cigal sings again, When the saints go marchin' in, Original dixieland one step
AL LIRVAT AND HIS CIGAL'S BAND - PARIS 1955
AL LIRVAT INCLUDED BENNY WATERS
Direction artistique : JEAN PIERRE MEUNIER
Label : FREMEAUX & ASSOCIES
REF. : FA5215
[1] Et non en 1987 comme je l'avais écrit par erreur. Merci à Patick Quillart pour son commentaire.
Wikipédia:
Albert Lirvat, connu sous le pseudonyme d'Al Lirvat est un musicien de jazz et de biguine français et un des pionniers de la musique tropicale, inventeur du wabap.
Date/Lieu de naissance : 12 février 1916, Pointe-à-Pitre, Guadeloupe
Date de décès : 30 juin 2007, Paris
Bien cordialement.
Patrick Quillart